« Vortex », m.e.s. Phia Ménard

Vortex. Le terme en lui-même dégage une certaine puissance – bien plus que le banal tourbillon qui lui est similaire. A prononcer, il impose au visage une grimace qui lui donne de la prestance, le mot déforme, le mot n’est pas anodin. A lire, il est élégant et entretient le mystère sur ses origines et son sens véritable – et terminer par un ‘x’ c’est la classe. A écouter, il vient chatouiller les neurones, provoque l’excitation, engendre la curiosité et l’émerveillement. Le vortex, c’est ce phénomène physique tourbillonaire – un cyclone par exemple – et aussi, surtout, un truc de science-fiction qui peut acquérir à peu près tous les pouvoirs qu’on veut bien lui donner, tant que ça déplace, que ça transforme le corps qu’on place dedans.

 

(c) Jean-Luc Beaujault

Vortex, c’est la création de Phia Ménard et la compagnie Non Nova. C’est tout d’abord un dispositif : une scène circulaire entourée d’une vingtaine de ventilateurs, actionnés avec plus ou moins de puissance selon le moment, créant ainsi un vortex dans le cylindre dont la scène est la base. Ainsi, tout objet placé sur ou dans l’espace au-dessus de la scène subit les forces à l’oeuvre au coeur du vortex. Rotations, torsions, élévation et chute, mouvements erratiques. Visuellement, Vortex est fabuleux. Phia Menard, au cours du spectacle, dispose divers éléments en plastiques (sachets, long ruban, voile), qui prennent particulièrement bien au vent ; prennent vie et dansent dès que les ventilateurs se mettent à souffler. Initialement jongleuse, Phia Ménard parvient par ce jeu entre plastique et vent (mais avec la simplicité du marcheur qui observe un sachet danser dans la rue), à faire ressurgir la discipline circassienne. Le jonglage, c’est initialement la maîtrise des corps. Ici, Phia Ménard s’en remet à la nature, aux mouvemenbts browniens, au hasard, à l’aléatoire. Elle arpente la scène au milieu des objets volants, s’y glisse, observe, joue, attrape, déchire. Il y a quelque chose de la vie ici, la recherche instable de l’équilibre jamais satisfaite, et qui menace toujours de basculer vers la déchirure.

En ça, Vortex n’est indéniablement pas qu’un dispositif, ni même ne se réduit aux sens (physique, science-fictif) qu’on peut lui attribuer, car Vortex a du sens. Dès lors que son corps y est plongé, l’idée figée de vortex s’effondre et impacte, agit, s’incarne.
Le spectacle débute alors que les spectateurs s’installent encore sur les gradins. Un personnage en costume, chapeau, visage masqué (une sorte d’homme invisible ou bien un homme « générique », sans genre) est en train de découper des sachets plastiques pour composer un bonhomme avec. Replié puis placé au centre de la scène, le petit plastique rose s’anime lentement sous l’effet des premiers ventilateurs. Cet homoncule initie la quête qui a lieu dans Vortex au cours de laquelle seront explorées diverses (dé)formes de corps – qui appartiennent au registre fantastique (proche de la science-fiction évoquée plus haut) et qui alimentent et renforcent le côté magique, fabuleux, du dispositif visuel initial.

 


(c) Jean-Luc Beaujault

De l’homoncule originel, on passe à une foule d’homoncules (sortis comme les mouchoirs du magicien, de la poche de l’homme « générique ») de toutes les couleurs, qui bientôt exécutent une danse folle au centre de la scène. Il y a un côté technicolor, Magicien d’Oz ou Mary Poppins ici, sorte de rêve sucré, qui bientôt devient oppressant pour cet homme central gris, donc indéterminé (sans couleur, sans genre). Il se transforme ainsi en golem, grand corps de plastique noir (comme du goudron), arpentant la scène d’un pas pesant. Puis sa peau se fend et en émerge un corps tout blanc, contraire, opposé qui jouera avec la gangue animée par le souffle du vortex un ballet d’amour et de haine conduisant à enfanter. Ainsi, une créature suivante déroulera-t-elle d’entre ses jambes un long ruban de plastique noir, qui, sous un éclairage rouge vif, prendra des allures de sang comme rempli d’humeurs mauvaises. Impressionnantes séquences où le ruban est dragon, cordon ombilical, et ce vent qui abolit dessus/dessous et crée comme de l’apesanteur, rend sa liberté au ruban qui s’enroule, s’entortille et agresse la créature qui gît alors au sol.

Au fil de ces épreuves successives (douloureuses de l’arrachage des peaux), où, pris par la spirale du vortex, on passe véritablement d’un corps à un autre par soustraction de peau, d’enveloppe, de mues, on voit finalement émerger un dernier corps, le plus simple, presque nu, débarrassé des couches ontologiques (les étapes de la construction philosophique du corps), sociales (les costumes, les masques, les peaux contraignantes), génériques (l’altérité, la maternité, le désir).
En plus de la splendeur visuelle, c’est à un récit que nous convie Phia Ménard, celui d’un cheminement intellectuel et charnel autour de la question du corps, du genre et de la nature profonde de l’individu.

Vortex
Phia Ménard, Compagnie Non Nova
au
Monfort Théâtre
jusqu’au 8 juin

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